A la recherche du temps perdu : LA PRISONNIÈRE Introduction d’Eliane Davy aux pages lues par elle le 27 05 2015

Le héros et Albertine sont rentrés précipitamment à Paris.
Albertine lui ayant appris lors d’une conversation banale dans le petit train qui les ramène de la Raspelière à Balbec, qu’elle connaît très bien Mlle Vinteuil et son amie, et qu’elle doit bientôt retrouver cette dernière, Marcel est convaincu qu’Albertine est, elle aussi, gomorrhéenne. Il est aidé en cela par la réminiscence de la scène de Montjouvain : les ébats saphiques des deux jeunes femmes dont il fut témoin pendant son enfance. Pour empêcher Albertine d’aller rejoindre son amie, il la persuade de rentrer immédiatement à Paris et de vivre avec lui, chez lui, en l’absence de ses parents (à lui).

Nous trouvons le Narrateur dans sa chambre pour une première matinée ; il y en aura 3 ou 4 dans le roman. Elles sont , ces matinées, des espaces temporels où le passé, dont le récit a déjà été fait, est systématiquement évoqué. Et cette première matinée, dès la première page, n’est pas sans évoquer l’ouverture du premier livre Du côté de chez Swann. Là, nous avions « le sifflement des trains qui relève les distances et décrit l’étendue de la campagne déserte » ; Ici dans la Prisonnière, nous avons la connaissance du temps qu’il fait par les bruits de la rue que le héros entend depuis son lit.

Nous reverrons Françoise, qui, vu l’absence de la mère, occupera d’une certaine manière une place maternelle près du Narrateur, ainsi que l’héroïne séquestrée, mystérieuse et fuyante, aux yeux noirs ou bleus, c’est selon le regard de l’amant, prénommée Albertine.
A propos de gouvernante, Céleste Albaret ( la gouvernante de Proust) fera une nouvelle incursion dans le texte. Lors de la première édition en 1923 ( un an après la mort de Proust), les éditeurs avaient substitué le prénom de Françoise à celui de Céleste, une liberté que les autres ne se sont pas accordée. Céleste Albaret vécut chez Proust de 1914 à 1922.

Il sera évoqué tout le long de La Prisonnière , la pièce de Racine Esther qui relate la captivité et la délivrance du peuple juif. Les citations qu’utilise Proust et qu’il fait dire à Albertine sont associées bien sûr au thème de la captivité. La Prisonnière peut se lire comme une tragédie avec une conclusion différée dans Albertine disparue.

Le petit personnage intérieur, intermittent qui compose une des innombrables facettes du héros, le petit bonhomme barométrique n’est pas sans rappeler le père du Narrateur qui , dans Du côté de chez Swann, est très friand de météorologie et regarde régulièrement le baromètre de la maison de Combray. A cet égard, l’écrivain nous remet en mémoire « le petit capucin » dans la vitrine de l’opticien de Combray, qui prévient du temps qu’il va faire en ôtant ou remettant son capuchon. Un autre « moi » du Narrateur, de l’auteur aurions-nous envie de dire, est le « moi » du philosophe. Celui-ci affirme la profonde intelligence des rapports entre différents éléments ; une partie commune, nous dit-il, entre deux œuvres, deux sensations, par laquelle l’on atteindrait les essences et par là même le bonheur. Vous l’entendrez, c’est une phrase qui passe sans crier gare et qui pourtant parle de l’esthétique de Proust, de sa conception métaphorique de la réalité qu’il déploiera dans Le temps retrouvé.

Un peu plus tard, le héros parle d’un article qu’il a envoyé au Figaro ( article que nous retrouverons dans Albertine disparue.) Cet article fait référence, sur le plan de la fiction à un premier essai romanesque que le héros-enfant écrit à Combray dans la voiture du docteur Percepied, Les clochers de Martinville. Dans le registre de la réalité, cet article provient d’un ouvrage intitulé Contre Sainte-Beuve, commencé dans l’année 1908, que l’on considère comme les fondations de A la recherche du temps perdu. Proust est en désaccord avec « la méthode Sainte Beuve » et écrit des pages proprement critiques : « cette méthode méconnaît ce qu’une fréquentation un peu profonde avec nous-mêmes nous apprend : qu’un livre est le produit d’un autre « moi » que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. » (Contre Sainte-Beuve, p127, édition folio-essais).

Que dire d’autre sinon que le thème de la jalousie, du soupçon court de page en page dans un huis-clos représenté par la chambre, sorte de laboratoire où le Narrateur s’interroge et médite sur les paradoxes du désir amoureux, sur la souffrance, et non la joie, qui attache à l’autre, sur la puissance de l’imaginaire et les vertus de la solitude.

Repères textuels : Début, « Dès le matin…. »
Fin, « sans que j’eusse à lui dire adieu. »
(Pléiade 1989 tome III pp. 519-538 , Garnier Flammarion, pp. 99-120

Pour accéder directement à l'introduction de La Prisonnière 2 

Pour accéder au texte lu cliquer sur les liens suivants

http://alarecherchedutempsperdu.org/marcelproust/335
http://alarecherchedutempsperdu.org/marcelproust/336
http://alarecherchedutempsperdu.org/marcelproust/337
http://alarecherchedutempsperdu.org/marcelproust/338 jusqu’à § 4 ligne 7